Le lait cru

un petit partage de mes réflexions du moment. 

C’est un peu long mais ça fait 10 ans que ça décante ! 

Sur le lait cru,

Sur la peur,

Je sais souvent très tôt que nos clientes sont enceintes, car on me demande ce que nous faisons comme fromage au lait pasteurisé. (La réponse est que seuls yaourts et skyr sont pasteurisés, tout le reste est au lait cru).

Et maintenant, les jeunes enfants aussi sont interdits de fromages au lait cru depuis quelques années. 

Conseils des médecins, directive nationale. 

Jusque là je ravalais mon avis parce que je pensais que c’était le choix de chacun.

Mais je n’en suis plus si sûre… 

Le problème est simple, le choix est compliqué.  

Le problème est que, par peur de quelques bactéries aux jolis noms (echericha colis, listeria, staphylocoque et salmonelle), on se prive d’autres bactéries qui équilibrent et enrichissent le microbiote dès les premiers moments de vie.

Choisir entre :  

– risquer un problème rare mais grave d’intoxication alimentaire en mangeant des fromages au lait cru 

– risquer d’avoir des maladies chroniques fréquentes (asthme, allergie, problème digestif, dépression…) en se coupant du contact précoce avec de bonnes bactéries en ne mangeant pas ces mêmes fromages. 

Si la science dit que la pasteurisation tue les mauvaises bactéries (et les autres avec), elle dit aussi toute l’importance d’être confronté tôt aux bactéries. 

Le choix d’écouter qu’une partie de la science, de se protéger des risques aigus plutôt que de s’immuniser est un choix sociétal.

C’est de rapport à la mort et de qualité de vie dont il est question ici.

Je réalise aujourd’hui la place que nous avons en tant que paysans ayant continué à travailler avec le vivant. 

Les discours des industriels disant que la pasteurisation rend les produits plus sûrs commencent à me faire grincer les oreilles. Quand on a découvert la pasteurisation et qu’on ignorait tout de notre fonctionnement bactérien, on a pu penser collectivement que c’était une bonne idée. 

Aujourd’hui on peut remettre en cause cette certitude au regard des dernières recherches sur l’importance des bactéries intestinales. On inocule même des bactéries maternelles aux enfants nés par césarienne. 

En plus les industriels ne sont pas épargnés par les problèmes sanitaires (des salmonelles dans les kinders, des E colis dans les pizzas …). 

Il est peut-être temps que ce choix entre les risques soit fait consciemment.

Nos systèmes digestifs dépendent de l’intelligence bactérienne, de cette collaboration humains-bactéries qui datent de bien longtemps et que notre esprit humain est loin d’avoir complètement élucidé. 

C’est petit, invisible, encore très mystérieux. 

Accepter de ne pas tout connaître est dur, on a l’impression d’en connaître assez. Pasteuriser est plus facile, une impression de contrôle, de facilité si rassurante. 

Mais la vie est complexité, diversité et nos corps sont vivants. 

Alors oui l’immunité baisse pendant la grossesse, 

oui, les jeunes enfants construisent doucement leur système immunitaire, 

oui tous les fromages ne présentent pas les mêmes risques, 

mais la réponse « on a qu’à tout stériliser » que nous propose la société est une réponse faiblarde par rapport à la richesse de la vie. 

Bientôt ce sera toute la population qui n’en mangera plus, car si notre maman n’en a pas mangé enceinte, si on n’en a pas mangé dans les premières années de notre vie, il y a peu de chance que notre système digestif continue à être assez vivant pour supporter la moindre bactérie…  

Qui nous met dans la tête que le fromage au lait cru est dangereux ? 

La peur du drame. 

Je la connais cette peur. 

Quand devant mon stand on me pose la question, je pense forcément aux conséquences malheureuses, on nous les rabâche tellement souvent, médecins, état, industriels. 

Comme une vérité non discutable. 

Mais j’aime questionner le monde et aujourd’hui je sens que c’est une responsabilité paysanne que d’oser dire qu’il faut dompter nos peurs ! 

Je vais oser nous mettre devant ce choix :

Quand une femme enceinte me demandera ce quel peut manger, j’oserai répondre « tout ». 

Tout, si vous voulez offrir à votre enfant une vie en bonne santé. 

Rien si vous préférez éviter le risque minime mais dramatique de le perdre et que vous assumer de lui offrir une vie avec une santé fragile. 

Je ne veux culpabiliser personne, on fait toujours ce qu’on pense être le mieux. 

Je me rends juste compte aujourd’hui que si je ne dis pas ce que je pense, on ne voit même pas qu’on choisit d’avoir peur, on pense suivre un avis éclairé. 

Mais chacun a une lampe différentes dans la vie. On ne voit jamais tout… Et les médecins qui nous ramassent à la petite cuillère quand un drame arrive sont convaincus de proposer le bon choix pour accueillir la vie. 

J’ai une autre lampe de poche. 

Alors j’ose vous dire que je pense que nous devons risquer la vie. 

J’ose et je prends mes responsabilités. Comme je les avais prises personnellement en continuant à me nourrir et à nourrir mes enfants de manière vivante lors de leur arrivée sur terre. (je dis bien « continuer », car je pense aussi que ce n’est pas une bonne idée de commencer à manger vivant en démarrant une grossesse. Mangez vivant tout le temps !

)

Je prends ma responsabilité d’éleveuse et de fromagère en disant qu’une autre réalité existe en dehors d’un monde aseptisé. 

Et alors faire manger du fromage au lait cru à vos enfants devient un changement de vision du monde, non plus un risque, mais le choix de la vie dans nos intestins. 

Oser, au nom de notre feu digestif, de nos boyaux, de l’odeur de nos selles, j’ose vous dire que les bactéries honorent plus la vie que la mort. Elles sont vivantes depuis si longtemps.

Je décide de ne plus avoir peur de l’histoire malheureuse pour espérer un monde où la biodiversité gagne contre les industriels. Même dans nos tubes digestifs !  

Je vous encourage à regarder le dernier documentaire de Marie-Monique Robin, « vivre avec les microbes ». 

Et reste disponible pour en discuter, 

Rachel

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